Céline Dion, a few minutes before going on stage. (© Photo Patrick Sanfaçon, archives La Presse)

Entrevue avec Marie-Christine Blais (USA)

Fin novembre 2005, Marie-Christine Blais rencontre Céline Dion à Las Vegas. Le jeudi 1er décembre 2005, Céline est photographiée par Patrick Sanfaçon.

Céline Dion au-delà de la voix
Marie-Christine Blais
La Presse
Las Vegas

Vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans que Céline Dion est dans nos vies. Et vingt-cinq ans que nous sommes dans la sienne. Depuis sa toute première prestation à l'émission Michel Jasmin en juin 1981, Céline Dion, sa voix, sa vie et son succès font partie de notre quotidien, qu'on soit à Matane, New York, Lyon ou Bombay! Pour souligner cet anniversaire, notre journaliste Marie-Christine Blais a rencontré en novembre dernier Céline Dion à Las Vegas, où celle-ci vit exactement ce qu'elle chantait dans sa chanson Destin: «Je sens, j'écoute, et j'apprends, je vois.» Nous aussi.

MERCREDI 30 NOVEMBRE, 18H

C'est l'automne et il fait très frais au Nevada. Dans la limousine qui me mène à Lake Las Vegas, où Céline Dion, René Angélil et leur fils René-Charles vivent depuis 2003, le chauffeur est intarissable: comme tous ceux que je rencontrerai à Vegas au cours de mon séjour, il a son lot d'anecdotes sur Céline et ce sont toutes des anecdotes charmantes, souriantes, simples. «She's one of a kind», conclut-il avec un grand sourire.

Après le passage de deux hautes grilles et deux vérifications de notre identité, nous arrivons à la maison où René Angélil m'accueille... et me présente illico à trois gardiens de sécurité, qui me photographient mentalement : O.K., cette femme-là peut s'approcher sans problème de Céline, «but beware, we are watching». Et, menue, longiligne dans ses vêtements tout noirs, frissonnante, arrive Céline, avec qui je vais passer une heure dans la voiture banalisée qui la mène, quatre soirs par semaine, au Caesars Palace, où elle se produit depuis mars 2003. Becs à René qui va rester avec René-Charles, dernières recommandations, «bye, mon amour» crié de la voiture alors que nous nous éloignons...

18H30

«Je suis un peu stressée aujourd'hui, explique Céline Dion d'emblée. J'ai une amygdalite et une infection des sinus.» Une amygdalite ET une infection des sinus? Et elle va chanter quand même? «Le plus difficile pour moi, ce n'est pas de chanter tous les soirs, c'est d'être obligée de me demander comment je vais faire, ce soir, pour donner le minimum du maximum, sans que les gens dans la salle s'en aperçoivent et pour que je puisse finir ma semaine. Mais ça fait 25 ans que je fais ça. J'ai déjà été plus malade que ça, je l'ai déjà été moins. De toute façon, il se passe toujours quelque chose, rendue sur scène...»

«Mais c'est pas vrai qu'on a toujours le goût, reprend-elle. René-Charles est très protecteur à mon égard. Un jour, je lui ai dit: "Il reste encore deux spectacles, après ça, Maman va avoir trois jours de congé, on va rester en pyjama, on va avoir du fun." Et René-Charles m'a répondu: "Maman, pourquoi c'est toujours toi qu'il faut qu'elle aille chanter?" Pis, c'est écoeurant parce que... des fois, je me le demande aussi.» Il y a comme un silence dans la voiture de luxe, qui négocie comme elle peut dans les bouchons de circulation.

«Moi, que je chante ce soir, d'après toi, ça va-tu changer le monde? demande-t-elle. Pas vraiment. Mais si je raconte n'importe quoi à mon fils, ça peut changer son monde. Pendant plusieurs années, je me suis imposé toutes sortes d'affaires, j'ai été muette je ne sais pas combien de jours par année, j'étais disciplinée au point que ça intimidait presque les autres, je m'étais mise dans une bulle pour être tellement professionnelle. Je ne dis pas ça avec un regret, ça m'amuse, ce que je fais, c'est ce que je voulais faire.»

« Mais quand j'ai donné naissance à René-Charles, que j'ai goûté à cette vie avec un enfant, à l'importance d'être là avec lui... C'est moi qui ai alors pris en charge ma vie! Je me suis dit: chanter bien, c'est peut-être moins important que chanter vrai. Enfin, je ne veux pas dire que je ne chantais pas vrai avant, ça m'énerve toujours, faire des entrevues, j'ai peur d'être mal comprise! Ce que je veux dire, c'est que, avant, c'était la discipline qui portait les émotions. Maintenant, il y a une émotion qui porte tout le reste de ma technique. C'est pour cela que je suis capable de faire mes shows avec une amygdalite et une infection des sinus. Il y a 20 ans, ça m'aurait mis dans tous mes états et il aurait fallu annuler le spectacle. »

Annuler le spectacle, c'est manifestement une chose grave. Et déterminante à un point qu'on ne soupçonne pas: « Tout le monde me demande si René-Charles voit d'autres enfants, ça devient fou, la pression qu'on ressent de la famille, des amis, de la société sur ce genre de question. Alors, on a commencé à visiter des écoles, René et moi, quasiment en braillant. Parce que j'ai dû me poser la question: si René-Charles va à l'école, il va être malade souvent. S'il revient avec la picotte, des maux de ventre, des rhumes, maman aussi va être malade, elle va annuler des spectacles, et là, tout le monde va en souffrir. C'est malheureux à dire, mais je ne peux pas me le permettre... Un jour, je vais devoir lui expliquer que, s'il n'a pas été avec d'autres enfants au début, c'est à cause de moi... Je dois performer tous les soirs, je suis obligée d'essayer de ne pas être malade. Je prends des médicaments pour ne pas pogner toutes sortes d'affaires, des médicaments préventifs, des médicaments pendant, des médicaments après, des médicaments pour continuer la semaine, et là, je sens que je suis malade quand même, il y a toujours de quoi! En même temps, je veux protéger René-Charles, mais pas l'étouffer. Alors, il va à l'école... à la maison, avec une professeure qui vient deux heures, deux fois par semaine. Mais c'est vrai, il vit dans un monde d'adultes. Quand on redéménagera en Floride (en principe, en 2007), il ira à l'école, comme les autres, on l'a déjà choisie, René et moi. »

Depuis le début de l'entrevue, un bruit agace Céline... et les deux gardiens de sécurité dans la voiture. Tout le monde se calmera en réalisant que l'espèce de criquet qu'on entend, c'est le bruit fait par mon enregistreuse. La sécurité fait partie intégrante de la réalité de Céline Dion. Tout comme le public et ses exigences. À un point qui sidère un peu.

« Prenez par exemple mes cheveux, explique Céline. C'est juste des cheveux, hein? Eh bien, quand je les ai coupés et teints en blond-blanc (en 2003), ç'a été la folie. La folie, ma fille! Moi, j'avais vécu un bousculement intérieur et je voulais juste extérioriser un changement. J'ai tenu un bout de temps. On a beaucoup discuté, avec les gens de mon entourage. Et là, quelqu'un m'a dit: " Tsé, Céline, les autres artistes changent de look. Toi, tu fais pas dans le look, tu fais des tounes que les gens intègrent dans leur vie: ils prennent Because You Loved Me quand ils se marient; quand ça va mal, ils écoutent The Power of Love et ils se remettent ensemble; quand ils perdent quelqu'un, ils écoutent Vole. Toi, quand t'étais petite, avec tes longs cheveux bruns, t'as toujours été le petit livre ouvert, la petite fille qui partageait toutes ses émotions. Ils savent qu'ils ne vont pas se retourner un matin et que tu vas faire une estique de chose complètement off. T'es l'affaire stable dans leur vie, t'es constante. Là, t'as les cheveux courts délavés. Tous les autres peuvent faire ça. Pas toi, Céline.»

« J'aurais pu ne pas le prendre, poursuit Céline, d'une voix troublée à la fois par l'émotion et l'amygdalite. Mais je me suis plutôt dit: câline, les gens m'aiment plus que ma chanson. Ils me font confiance. Je représente quelque chose de réconfortant. Je suis donc revenue à mes cheveux " naturels " parce que, justement, c'est juste des cheveux. Et tout le monde m'a remerciée, comme si je leur avais fait un cadeau... »

19H30- DANS LE GARAGE DU CAESARS PALACE

Le spectacle est dans une heure, la répétition n'est toujours pas faite, mais Céline continue à s'interroger à voix haute. « C'est prétentieux, pour moi, de parler de ma vie, parce qu'elle est plus grosse que moi. Mais quand même, je me demande pourquoi c'est à moi que les Américains ont demandé de chanter God Bless America pour la commémoration du 11 septembre 2001 plutôt qu'à une Américaine. Ou de participer au gala d'investiture de Bill Clinton (en janvier 1993). Pourquoi est-ce que la Suisse m'a demandé de la représenter dans un concours (en 1988)?»

«Pourquoi est-ce que les gens ont badtrippé sur mes cheveux comme ça? Il y a d'autres chanteuses qui chantent bien, qui chantent mieux que moi, qui chantent différent. Alors, pourquoi? C'est certainement pour quelque chose qui dépasse ma voix! Ça peut pas être juste pour ma voix! (silence) C'est facile de rire de Maman Dion ou de « C'est Céliiiine », mais en quelque part, ça continue pareil, hein, je suis toujours là? Peut-être parce que, que ce soit un coup sur le torse ou une larme ou une belle note ou une anecdote, il se passe toujours quelque chose. Peut-être... »

19H45- RÉPÉTITION AU COLOSSEUM

« Allô, tout le monde, dit Céline en entrant sur scène, je vous le dis tout de suite, j'ai une amygdalite et une infection des sinus, je compte sur vous pour m'aider. » Toute l'équipe fait signe qu'elle peut compter sur son monde. Malgré tout, au bout de trois chansons, Céline trouve la force de rigoler un peu, fait quelques farces en chantant... Mais Michel Dion, son frère et régisseur, est manifestement inquiet pour elle.

20H40- SPECTACLE AU COLOSSEUM

Les fans se sont fait photographier les uns après les autres sous la grande affiche à l'entrée de la salle, ils ont visité la boutique de souvenirs Celine Dion en plein casino (de 2 $ pour un bracelet en plastique à 4000 $ pour une rose de verre conçue par la prestigieuse designer Judith Leiber). Maintenant, un verre à la main (17 $ pour une coupe de plastique remplie de vin blanc, bienvenue à Las Vegas!), ils attendent impatiemment l'arrivée de Céline Dion. Elle ne les décevra pas, et les fans francophones seront particulièrement ravis: désormais, elle chante Pour que tu m'aimes encore en français (depuis la première représentation en mars 2003, environ 75 % de son spectacle a changé).

Céline chante, danse, parle. Il faut savoir qu'elle est malade pour remarquer qu'elle se ménage... un peu.

JEUDI, 1ER DÉCEMBRE, 19 H 30

Cette fois, pour une séance de photos, Céline, Patrick le photographe et moi nous retrouvons derrière la scène, dans la Green Room: c'est ainsi qu'on baptise la salle mise à la disposition des danseurs et musiciens pour qu'ils s'y détendent.

Comme son nom ne l'indique pas, la pièce n'est pas du tout verte (c'est une couleur malchanceuse, dit-on dans le monde du spectacle), mais orange chaud. C'est Céline qui a demandé, il y a un an et demi, que les coulisses et la Green Room soient décorées de façon chaleureuse, afin que son équipe, faite d'exilés volontaires, s'y sente mieux. Pendant que la danseuse d'origine française Sarah Mandonnet répond à ses courriels sur son portable, le bassiste Marc Langis vient faire des recherches sur Internet: il a décidé d'apprendre la viole de gambe et cherche à s'en procurer une!

Dans sa loge (tenue très humide pour protéger la voix de la chanteuse, tout comme l'est d'ailleurs la scène immense: on a placé de nombreux humidificateurs sous le plancher!), Céline, elle, est en train de parler à une jeune femme, bénévole pour la lutte contre la fibrose kystique, mais surtout atteinte de cancer en phase terminale.

Presque tous les soirs, une demi-heure avant son spectacle, Céline Dion rencontre ainsi une personne malade dont le rêve est de rencontrer la chanteuse. Patrick (le photographe) et moi avons la gorge serrée quand nous croisons cette jeune femme dont le corps témoigne de sa lutte contre le cancer. Elle, elle nous sourit: elle vient de parler à Céline, qui l'a écoutée et embrassée. « Je sais que ça fait bizarre, dira la chanteuse pendant la séance photo, mais voir tous ces gens qui souffrent contre leur gré, alors que moi, bon, c'est vrai, mon corps souffre, mais parce que je l'ai choisi, cela met les choses en perspective. Et j'apprends toujours beaucoup à leur contact, cela me donne l'énergie de faire le spectacle. » Céline va à peine un peu mieux ce soir, ses allergies l'ont reprise en plus de ses autres maux, mais elle aussi sourit. Elle pose pour le photographe, rigole, compare ses souliers aux miens...

20H30- SPECTACLE AU CAESARS PALACE

Est-ce parce que c'est le deuxième soir? Parce qu'elle a pu puiser de l'énergie dans sa rencontre avec une jeune femme mourante, mais momentanément heureuse? Céline Dion chante avec plus de conviction, plus de chaleur ce soir. La foule l'acclame.

VENDREDI, 2 DÉCEMBRE, 15 H

Nous devions rencontrer Michel Dion, frère et régisseur de Céline, Mégo, son directeur musical et quelques autres, au Caesars. Mais la nouvelle vient de tomber: ce soir, le spectacle est annulé, Céline a fait une crise d'asthme...

Et pourtant, demain, samedi soir, elle sera de nouveau sur pied pour donner son dernier spectacle de l'année 2005 au Colosseum. Ensuite, elle s'envolera pour Montréal où elle participera à l'enregistrement de quelques émissions, donnera un spectacle-bénéfice avec ses frères et soeurs au Casino de Montréal, annoncera que la campagne de financement de l'hôpital Sainte-Justine et celle contre le cancer du sein ont fait un bond de géant...

Je repense à René-Charles et à sa question: « Pourquoi, Maman, c'est toujours toi qui doit aller chanter? » La réponse est simple, René-Charles: parce qu'elle le doit. Ça dépasse la voix...

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